Dance is in the Air

Silhouette d’une danseuse en suspension, vertébral d’une figurine sortie de nos longs chantiers de jeu

Sa construction lui est propre : elle fait reculer les limites de la gravitation

Maîtrisant son point d’appui à l’infini elle renverse nos propres limites visuelles

L’origami semble être apparu en même temps que le papier,

Satchie a mis l’origami en exergue pendant Paris Quartier d’Eté

Copyright ©  Céline Burr

Péril à trois – Stéphane Fratti

Murmure déroutant, force nous éloignant et nous rapprochant…

Super-héros, trio – affront du quotidien

Comment la danse est rentrée dans votre vie et comment vous est venue l’idée du spectacle “Mur mur”  ?

Rémi Leblanc-Messanger, danseur J’ai commencé la danse à la fac de Rennes. J’étais étudiant en histoire de l’art.

Vous êtes tombé là dedans par hasard ?

Je ne sais pas comment je suis rentré dans la danse, mais j’y suis rentré !

C’est la que j’ai rencontré une étudiante qui avait terminé son cursus en danse à Montpellier et qui m’a conseillé de passer une audition dans une école du Sud de la France. C’est ainsi que j’ai débuté la danse. Après avoir finalisé mon cursus en danse je me suis installé à Paris, ce qui a suivi c’est le cursus standard : les auditions, les cours, les rencontres…

Comment le trio s’est formé ?

Ça n’a pas débuté par un trio.

Stéphane Fratti, chorégraphe et danseur  Il y a eu plusieurs étapes de travail avec différentes personnes – comme l’a souligné Rémi. Lors d’un cours de danse j’ai proposé à Rémi de faire un essai. On as donc poursuivi en trio il y a deux ans de cela environ.

Quel a été votre parcours Alban ?

Alban Gérôme, danseur  Par la porte ! Je suis comédien avant tout. Dans mon parcours j’ai beaucoup travaillé sur l’aspect corporel. En tant que comédien je suis même passé par un complexe avec le texte et, dès le départ, je sentais que vraiment ma première approche de la scène était corporelle, même si le théâtre m’attirait. Tout en débutant ma carrière de comédien j’ai collaboré avec des compagnies de danse, lors d’esquisses très courtes. Ou alors j’ai été casté pour faire la jonction avec des scènes dansées. Je faisais le Monsieur Loyal : je décrivais le texte, j’étais dans ce monde là. Stéphane et moi nous sommes rencontrés sur une résidence d’artistes. J’étais sur un projet théâtre et lui danse. Stéphane a présenté un solo. Il m’a proposé de venir travailler lors de ses ateliers Magma, une danse ou il n’avait pas seulement envie d’inviter des danseurs

Magma-R- Durand de Girard - C-Le DévéhatMagma

Il a ensuite souhaité créer d’autres agrégats de recherche autour d’autres matières avec des personnes qui avaient collaboré à Magma. Il y a eu plusieurs étapes de maturation comme le disait si joliment Rémi. Et puis on a été très nombreux, très peu, très nombreux… Et puis, petit à petit ça s’est affiné et on a trouvé une dynamique à présenter au public à trois.

Vous présentez Magma « contre le processus de dé-liaison qui marque la société contemporaine”, est-ce que vous poursuivez le projet dans cette optique ?

Stéphane C’est un projet sur lequel je vais travailler toute ma vie, c’est inépuisable. A chaque fois il faut repartir à zéro, car repartir à zéro c’est aussi faire un pas en avant. C’est ce qui me fait progresser dans ce projet : repartir à zéro. Ça demande une écoute des gens. Il y a des personnalités toujours différentes qui amènent quelque chose de différent, c’est simple et complexe. Un contact à deux c’est facile, un contact à plusieurs ça devient plus complexe. C’est une fiction dans ma tête, l’idée est née en se disant : plus on avance, plus on se rapproche du progrès et plus ça nous éloigne humainement du toucher. Pour des personnes qui n’ont jamais effectué de danse-contact, se tenir devient une thérapie. Et je l’ai remarqué par la suite car au début c’était une simple idée chorégraphique. J’ai laissé tomber l’idée chorégraphique tant j’ai trouvé le processus important pour moi et pour les autres. La chorégraphie subsiste car Alban fait partie des gens à qui j’ai demandé de le présenter et proposer des actions aux gens.

Alban C’est drôle car la forme de Mur mur, ses strates sont nées via Magma. Et le jour où l’on a laissé de côté cette forme, cette matrice est née : Mur mur. Les autres matières ont été nourries de cette matrice là. C’était clair, évident.

Stéphane Les Hommes Cabossés c’était ça. Au moment ou l’on était tous dans Magma, ils partaient tous et il ne restait qu’une seule personne complètement à l’envers et la personne essayait d’en sortir.

Sont-ils les débuts de la formation et du spectacle ?

Stéphane Les débuts furent un duo lorsque j’étais en résidence à Brest. La compagnie est née en 1998 à Arenes. Brest était le lieu du début de ce spectacle. A l’époque il ne s’appelait pas Mur mur, c’était juste des matières. En résidence j’ai travaillé avec une danseuse, ce travail de recherche m’a donné envie de faire un travail à plusieurs – homme ou femme. C’est pour ça que j’ai invité les copains: je connaissais des danseurs, comédiens pour mettre bout à bout ces matières là : elles étaient étranges pour moi, elles me perdaient bien mais m’intéressaient beaucoup. Ils ont été assez fous pour me suivre, je ne savais pas ou j’allais. Ça demandait donc un sacré investissement physique.

Au départ il y avait des danseuses mais ça ne collait pas. Dès qu’il y avait une violence on entrait dans une autre interprétation, ce n’était pas la direction recherchée.

C’est donc devenu un projet masculin ?

Stéphane  Oui. Lorsqu’on as dansé à trois danseurs c’est devenu masculin

Rémi  C’est un projet sans trop d’identité sexuelle

Stéphane Oui mais en même temps je vise la folie des hommes

Dans le spectacle on as l’impression que sous l’emprise de son propre territoire l’homme passe par des états ou stades différents. Par exemple : personnages ou archétypes tels que Bioman, on peut parler des “morts vivants distingués” car ils ont un certain style… Etiez-vous dans cet état d’esprit ?

Alban  Chaque spectateur voit quelque chose de différent mais ça nous as traversé consciemment ou pas. Je ne suis pas sûr qu’on as pensé à ces personnages mais il et vrai que nous sommes nourris de cette culture qui est aussi de notre génération – chacun de nous a le même age (Rires). C’est vrai que les mots employés font référence à des univers différents. La proposition reste ouverte.

Stéphane  Il y a un dénominateur commun : l’enfance. C’est comme une cour d’enfants peuplée de super héros, ça me parle

Alban Dans le début du spectacle il y a plein d’interprétations différentes du côté vibration des prières : soit mystique, soit très contestataire pour certains ou soit juste énergétique pour d’autres

Rémi La référence à Bioman m’a fait penser à un moment du spectacle ou je n’aurai pas pensé à placer ce moment là “Mais oui…! « C’est le moment ou avant les claques on exécute toute une série de postures martiales qui surgissent ainsi…

Stéphane  On voulait vraiment s’amuser car le fond n’était pas drôle. J’ai donc cherché quelque chose de léger, qui fasse voyager le public afin de permettre sa propre lecture.

Alban Une portée universelle, sans se prendre au sérieux, mais en y allant !

Rémi  Ça parle à beaucoup de gens : même à ceux qui ne sont pas amateurs de danse ainsi qu’aux enfants

Stéphane Pourquoi les Super-Héros ont été créés ? Car les gens sont faibles ! Ce que j’ai souhaité faire basculer ce sont toutes les croyances ou l’on met quelqu’un sur un pied d’estale : que ce soit en amour ou en politique,

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Dans l’un de vos spectacles : le solo « Lâche-moi » vous êtes accroché à une corde et l’utilisation de la force est constante…

Stéphane C’était aussi un super héros ?! Ce spectacle est également relié à Mur mur car j’y parle aussi des choses absurdes de ce monde. Dans ce solo je me pose la question “Qu’est ce que l’avancement ?” Avec toute la matière grise qu’on a, est-ce qu’on avance ?

L’actualité nous montre que les hommes sont fous… En plus nous sommes des hommes !

Comment vous est venue l’idée de la scène de “Strangers In the Night” ? Cette scène a un impact sur le spectateur, on as l’impression qu’elle s’éternise…

Stéphane Pour ce genre de matières je pense qu’il faut les faire durer pour qu’elles existent. C’est tellement simple, c’est tellement rien des Hommes Penchés et en même temps pour que ça existe…

Rémi On appelle ça les Hommes Penchés…

Alban Mais on c’est fait traiter de pingouins !

Vous imaginiez l’impact sur le public ?

Stéphane Au départ je ne pense pas au public, mais au propos, au sens. La scène d’avant est très énergique, à un moment donné au niveau rythme, son, vibrations, j’ai voulu un moment de calme et renversé comme le retour d’un iceberg

Alban Ça m’a fait penser à des positions de taï-chi. On s’est dit « Tiens avec cette position si l’on va jusqu’au bout est-ce qu’on va pouvoir continuer à avancer ? » Pour chaque matière il y a eu cette recherche. “Ah là c’est une contrainte, et qu’est ce qui se passe si l’on continue ?” Ça a crée ces mouvements, ces énergies

Stéphane J’aime bien travailler avec les contraintes qui imposent un état physique. Par rapport à cette contrainte, précisément, qui parle vraiment de la folie des hommes, aux hommes paumés c’est complètement absurde. Et après on s’est dit qu’on pouvait faire un ballet avec cette matière. J’aime utiliser les musiques en décalage : Frank Sinatra était un très beau chanteur et crooner mais un sacré salopard aussi.

Par rapport à votre style, à votre vocabulaire dansé le public pouvait constater que ça allait au delà de la danse, est-ce que vous estimez que vous avez développé un certain style ? Est-ce que ça résulte de vos rencontres artistiques passées ?

Stéphane  Sincèrement je n’en sais rien. J’ai fait de la danse très académique, je donne des cours de danse et mon danseur préféré est Buster Keaton. Donc les pirouettes ne me parlent plus. Quand je vais voir des comédiens ou des musiciens leur gestuelle me parle, pour moi c’est de la danse car c’est physique. Lorsque j’ai vu Alban travailler sur Magma, ainsi que des spectacles qu’il a pu faire dans d’autres compagnies : au théâtre, je trouvais que physiquement il n’avait pas besoin de faire quoi que ce soit pour dégager quelque chose. C’est donc un interprète tel qu’un danseur. C’était pareil pour Rémi. Je me suis dit que j’avais besoin de rencontrer des identités. J’ai eu de la chance.

Ce qui est chouette c’était la première fois ou nous avions présenté cette forme là. En le visionnant nous rions beaucoup mais nous avions peur d’être les seuls à rire. Lorsqu’on l’a présenté devant un public, au Regard du Cygne les gens étaient explosés de rire. Ça nous faisait très plaisir d’entendre les gens rire : les personnes âgées, les enfants, des personnes extérieures au monde de la danse, des danseurs, des chorégraphes… S’il y a de telles réactions c’est que le travail est juste

Rémi  Pour nous la compréhension ou la non-compréhension de notre travail est passé par la présence du spectateur. Au niveau rythmique il faut savoir ce que ça va donner par exemple et tant qu’on ne l’as pas confronté au regard du spectateur ça reste hypothétique. Mais comme le dit Stéphane il ne faut pas penser qu’au spectateur

Stéphane  Je ne suis d’accord qu’en partie avec Rémi car ce qu’on présente est pensé, réfléchi, ficelé, et de là je suggère des choses et ce qui est suggéré manipule aussi le spectateur car je lui renvoie ces images. S’il me les renvoie c’est que j’ai visé juste. Il y a aussi l’idée de la libre interprétation de ce qu’on présente de manière large et ciblée. Voilà pourquoi je n’ai pas intégré de femme(s) au spectacle car ça n’allait que dans une direction. Et ça fermait les choses

Alban Je ne sais pas si tu peux dire que tu manipules… Tu suggères, tu amènes des pistes. D’ailleurs on pourrait dire aussi que si ça arrive très fort gardons notre ligne, gardons notre concentration, n’en rajoutons pas.

Vous aviez la tentation d’improviser…

Alban Ça peut être une tentation, alors que sur une même scène le public peut nous dire qu’il riait et d’autres publics pleuraient sur les Hommes Penchés. Donc le but c’est de garder le plus d’ouverture pour le plus d’interprétations possibles. Mais je rejoins Stéphane qui parlait de Buster Keaton, ça dépends toujours de la culture qui t’a nourrie. Des amis m’ont dit que notre spectacle leur faisait penser à Samuel Beckett, le côté noir, plus désespéré. Buster Keaton et Samuel Beckett ont fait un film ensemble. C’est le dernier film de Buster Keaton, donc la rencontre du burlesque, du tragique et de l’absurde. Ce travail est aussi teinté de ça : ça ne vient pas de nulle part, ce n’est pas une création même s’il y a des inventions qui nous sont propres mais ça vient aussi d’une tradition, d’une vision du monde qui est souvent ré-interrogée.

Rémi Par rapport à ce que je ressens de l’intérieur c’est que chaque situation donnée à voir est à multiple interprétation, mais ce n’est pas forcément la première idée – en tant que spectateur ou danseur – qu’on peut se faire de cette partie là et pas forcément l’idée qui restera à la fin. Pour les hommes penchés on entends beaucoup de rires, mais à l’intérieur des corps ce que je ressens c’est beaucoup de détresse. Il y a ce dialogue entre le spectateur – qui rigole énormément, alors qu’on sort d’une partie très physique ou le corps a mal et est enfermé : il reste droit. C’est presque un décalage entre ce qu’on ressent et ce qui se passe. Petit à petit la situation change, le public rigole moins.

Stéphane  La pièce n’est pas drôle. Le fond n’est pas drôle donc j’ai cherché une forme légère pour toucher ce fond là.

Il y a une forme sombre lorsque vous mimez une femme c’est presque un combat entre vous deux

Rémi Il y a beaucoup de violence…

Stéphane Mais toujours d’une façon un peu détachée

Rémi Ce qui rend encore plus violent la chose

Alban Ça s’est construit comme ça. A la fois construit, rythmé comme une partition musicale et en même temps improvisé – afin que les deux se mélangent tout le temps.

Stéphane Il y a une écriture. Des points de rencontre. Et dans ces rencontres il y a des matières différentes, comme dans les hommes penchés. Et dans les trajets c’est improvisé. Cette improvisation nous donne donc la liberté de créer chaque soir des choses différentes. Ça nous met en péril aussi. Ça nous met à l’écoute car on ne peut pas se cacher vers quelque chose d’écrit.

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Corps à Cor – Béatrice Gromb-Reynier

Butô… Corps-charnières, corps épris

Sens étrange(r)s… Remue chair et âmes

Depuis quand la danse fait-elle partie de votre vie ?

Mon corps à toujours été mon instrument de travail. A l’âge de 14 ans j’ai découvert la danse contemporaine avec une élève de Mary Wigman : Trudy Kressel. Elle souhaitait que je fasse partie de sa compagnie. J’ai découvert cette façon d’être dans l’expression dansée. Vers 22 ans, lorsque j’ai pu voler de mes propres ailes j’ai repris la danse avec cette ambition

J’ai dansé et j’ai rencontré le Butô avec Sankai Juku, qui n’était pas du tout connu à l’époque.

J’ai commencé réellement ma première scène au festival de Bernard Lubat, musicien de jazz improvisation – en ouvrant le festival avec un orchestre contemporain 2E 2M. J’ai joué le rôle de la princesse. Le bœuf a débuté – comme dans toute scène de jazz qui se respecte et, on m’a poussée à improviser, on m’a dit « Allez, c’est à toi ! »

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Vous aviez cette liberté et ce champ de possibilités ?

Oui je gagnais ma vie. J’ai démarré en tant que professeur de fitness et d’aérobic avec un cours de danse africaine. En parallèle, à la fin des années 80 j’ai monté une compagnie qui s’appelait déjà les Muses Bathymétriques, c’était très conceptuel. Au bout de vingt ans d’absence c’est un come-back underground !

J’ai quitté ce monde car je n’avançais plus en tant que chorégraphe, je n’avais pas les moyens et les danseuses pour avancer sur le plan technique et corporel. Pendant ces vingt années d’arrêt j’ai poursuivi la réalisation de documentaires de pédagogie corporelle tels que le Qi Gong et la danse classique

Le Qi Gong m’a permis de donner un sens au mouvement afin de se débarrasser de l’expression personnelle. J’ai toujours travaillé sur la notion de transformation et de l’éthique. J’ai ce regard sur le monde ainsi qu’une interrogation sur l’être humain depuis toujours. Le Qi Gong m’a permis de l’explorer et j’ai eu envie d’aller plus loin

Comment ?

Il y a deux ans j’ai failli mourir. J’ai eu envie de reprendre mon rôle de chorégraphe. Je cherchais un nom de compagnie et mes proches en parlaient en disant « les Muses, » c’était donc une évidence. Je cherchais des danseuses de Butô et de danse africaine, car j’estimais que c’était la même chose avec un rendu différent. C’est là ou l’on retrouve le Qi Gong, j’ai développé “une méthode de jaillissement de l’être”

Cette vibration est une ondulation, quand le corps est disponible – donc quand il ne passe plus par le mental il se retrouve dans cette vibration. C’est une ondulation retenue, par rapport à la danse africaine qui est une ondulation explosive. La source est la même. C’est ça qui m’intéresse et que la compagnie va continuer à explorer. C’est le cœur au niveau corporel et au niveau de l’état d’esprit également.

Voilà pourquoi ma gestuelle est féminine. Néanmoins les hommes peuvent le faire.

Je donne tout ce que je suis aujourd’hui, toutes mes expériences, mes réflexions, ma maturité de femme. Mon regard critique sur la femme, comment il est difficile pour elle d’être elle-même dans notre société – quelque soit son âge

Le Butô permet d’exprimer, d’être les éléments. Dans le Qi Gong on gomme, sans inhiber.

En parlant de cette liberté accordée à la danse, la tradition des chorégraphes de butô permettait de donner des spectacles dans des lieux variés, quelle était votre démarche par rapport au choix de la Société de Curiosités et l’utilisation spécifique de la scène ?

J’ai travaillé sur la question de l’espace précédemment avec les décors sonores et vivants. Ce que j’ai fait aujourd’hui serait encore d’avant-garde, ce n’est pas de la prétention. A l’époque je n’utilisais que de la musique vivante et ce n’était pas fréquent. Nous travaillions sur la durée : il y avait de temps en temps des « actions flash », on s’adaptait à tous les espaces et toutes les situations. Ensuite le Gang (groupement d’intervention rapide dans les lieux publics) nous as permis de nous entraîner – entre deux stations dans le métro – contre la morosité du quotidien. La notion d’espace est inscrite profondément en moi.

J’apprécie énormément le courage d’Eric Périer, organisateur de la Société de Curiosités, qui a vraiment un discours très élaboré. Démarrer dans un sous-sol qui ressemble à un parking : on vient des profondeurs des eaux, ça me plaisait. Voilà le principe des Muses Bathymétriques : on est délocalisées.

La musique acousmatique de Christophe Bergeron était-elle une évidence pour vous ?

J’en suis ravie ! Je voulais donner une note très moderne puisqu’on parle justement de la femme d’aujourd’hui. Par la suite j’aimerais que la musique soit dans l’instant présent. Ce qui me plaît c’est de créer des univers.

Lili Frick, la poétesse a utilisé ses textes très profonds et subtils…

C’est au même titre que les danseuses et leur solo. Je souhaite que les textes rebondissent. Des comédiennes m’ont proposé de lire un texte mais ce n’était pas dans l’esprit du groupe – même si ce sont d’excellentes comédiennes ! Il faut porter nous mêmes nos paroles et les donner !

Une fois de plus c’était un choix porté par l’individu en tant qu’expérience, en tant que vécu ?

Oui, d’autant plus que je l’ai découverte au Printemps des Poètes. Elle n’a récité qu’un poème mais elle m’a touchée. En feuilletant son livre je me suis rendue compte au bout de cinq pages qu’elle fait du Butô avec l’écriture.

Les concepts de métamorphose et de transformation reviennent très souvent avec de fortes touches d’humour : le défilé de mode, le courrier de rupture et les notes de tristesse. Il y a enfin un archétype de femme forte qui ressort beaucoup…

Je pense que l’on se transforme, si l’on veut être auteur de sa vie encore plus. C’est là ou la spiritualité peut faire peur. Le temps transforme le corps et notre histoire, tout passe par là. L’humour est très important c’est un devoir dans notre société. C’est le devoir d’un artiste. En tant qu’artiste je dois donner de la force aux gens

Vous avez tout de même choisi de mettre en scène des femmes fragilisées par la vie et les évènements…

C’est la vie. Il ne s’agit pas de mettre en avant des images, des icônes qu’on essaye de nous imposer. Même les plus belles femmes du monde sont photo-shopées, irréelles.

Le nombre est important pour moi car ça permet d’aller plus loin dans cet échantillonnage, dans cette diversité de femmes fragiles. Pour revenir à la force : la femme, celle qui a porté un enfant ou celle qui ne peut pas enfanter ou ne le souhaite pas – qu’importe détient en elle cet instinct de la création et de survie. Voilà sa force.

Une force proprement féminine ?

Oui. Ça ne veux pas dire que l’homme ne l’a pas, mais l’homme est celui qui part à la guerre. Il peut être dans l’obligation de tuer. L’homme, me semble t-il est dans la répartition naturelle, la sauvegarde du groupe. La femme est là pour permettre la survie de l’espèce, c’est sa force, quelque soit la femme. C’est ce que j’essaye de dire aux danseuses car elles peuvent être à un moment de leur vie ou elles ne se sentent pas dans cette position.

C’est un grand travail que je demande aux interprètes car je suis très exigeante.

Il y a cette relation corps-esprit qui ressort dans votre spectacle…

Les cinq sens développent le sixième, l’intuition. Il y a deux relations possibles :

Développer les sens, les mettre en éveil pour recevoir tous les messages qui nous viennent de l’extérieur.

Il y aussi l’autre relation qui est d’être en conscience de cela – afin que ça ne nous affecte pas, au sens psychologique. C’est un travail que je fais avec les artistes : développer cette intuition.

Afin que cette circulation entre dans le groupe, ça permet aussi un dialogue à un autre niveau.

Cela demande du temps !

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Justement quel a été le temps de préparation accordé à cette chorégraphie ?

L’idée est arrivée il y a deux ans. A la société des curiosités ça faisait pile un an que j’avais lancé ça.

Entre temps il y a des danseuses qui sont parties dans d’autres histoires, et d’autres sont arrivées. C’est un fonctionnement qui le permet : je vais faire rentrer une seconde vague de danseuses. Personne ne remplace personne, chacune interprètera son propre solo.

Sur la question du féminin : le solo est une façon d’appuyer plus une mémoire qu’une autre sur une thématique.

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Avez-vous choisi et mis en scène ces thématiques ?

Ça s’est déroulé au cas par cas. J’ai tenu à ce qu’elles écrivent leur solo, afin que ça « ressort » d’elles, en tant que démarche du Butô. J’ai donné certaines thématiques : concernant Sachiko je lui ai proposé l’arrosoir, je cherchais quelque chose de très poétique. L’arrosoir est un objet d’eau en principe.

Pour Claire, le tubulaire qui vient d’un ancien spectacle. C’est elle qui as le mieux compris l’ondulation au niveau minimaliste. C’est ça aussi qui est riche dans cette histoire, les personnalités sont différentes.

Audrey a également porté « un morceau » de costume d’un autre spectacle.

Audrey détenait vraiment un rôle de femme forte…

Oui, elle représentait l’archétype de la guerrière. Corinna, portait l’une de mes robes jaunies.

C’était un travail très intime sur leur vie…

C’est forcément ce que je leur demandais… Et même plus encore !

Transhumances du désir ou Les Fleurs de Lotus jouissent au soleil,

Work in Progress, Société de Curiosités, Paris,

Propos recueillis au printemps 2014

Copyright ©  Céline Burr

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Red over Black – Carolyn Carlson

Grincements. Dans un soupir la muse s’exécute,

Traits hachés, début de la triade :

Calligraphie sonore, peinture, prestation imagin-ère

ALONE

Tintement déraisonné de la corde contre l’arpège. Sortie d’un halo, c’est elle: l’esquisse…

L’une des trois grâces ne se pavane pas mais lie et délie. Les mouvements suivent un tracé équivoque, femme-peintre au tablier-toile. Elle nous rappelle que les contours ne sont pas flous

Dream n°1 :

Racines souterraines, un verger…

Femme-de-terre, l’ocre est la seule couleur visible à nos yeux…

Par sa table-sérail, l’éclosion de nos rêves se fond à travers sa main… tel un guide abstrait

Agencement, fougue de nos sens intérieurs. Elle fait filer les heures… Râle sombre de l’instrument…

Croisée de mains, croisée d’artistes. Main gantée, impermanente – fait face à la danse. Face à ce rivage le choix est inégal, la tenue austère ne laisse pas de résistance,

Les d(i)eux s’entravent. Du fond des temps jaillit une œuvre, remise – en mains propres

Dans une effusion de nuances, mains contre mains, au delà la dame gagne du terrain

Bulles concentrées, figures multiples, pinceaux acérés

– Retentissement –

Black est le maître mot

Interlude, opacité du spectre. Une convention se noue entre la danseuse et lui. Retour sur soi, introspection : œuvre par-achevée. Silence du cœur et déchirement. Nouvelle moulure à l’abri des ombres. Transfiguration. Éloquence du geste, optique qui se diffuse

Résidus visuels lacérés – coûte que coûte, arrêt

Monde hypnotique, à touches rouges. Rites, à-coups musicaux.

Concept, fusion. La toile nous ralentit, le pinceau s’agace. Paysage onirique toujours pregnant

Sur le toit de l’écriture automatisée, la grâce s’éternise…

Tempo – le peintre s’exprime. Réflexion créatrice, intermède é-toilé. Momentum mécanique

Esquisse d’un autre rêve, place à l’imagination latente. Les idées se superposent, concept d’éternité

Encre qui fuit de notre chair, fin du tracé – ombres à jamais renouvelées

Le noir se mêle au rouge – marche rempart. Refuge illusoire, progression de la toile sans fond

Gong lascif, oscillement de l’esprit. Mesure fixée à travers nos mémoires. Silhouette figée dans le papier.

Dialogue avec Rothko, Carolyn Carlson, Grand Théâtre de Calais, 11 avril 2014

Copyright ©  Céline Burr

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C’est un jeu d’enfants – Pépite II

What the Body Does Not Remember by Wim Vandekeybus

[Mise en scène : imperceptible. Pas de rature ou de griffonnage … Tel un charpentier qui épure, le rythme est donné : pas de notation non plus, si ce n’est à la main. Effort mesuré, tambien.

Entre-deux.

Têtes à terres. Réalignement. Portrait de famille, d’initiés. Esquives.

Brykken (f) – bricks : s(p)ort qui se joue toujours à plusieurs, alignés, en règle !

Escadron de fabriques-à-corps, le tout dans une tentative de redimensionnement. Détermination de l’espace, on joue à qui perds gagne.

Jeux d’accords. Dé(tour)nement. Forclusion. Accéleration. Mon alter est beau. FIN]

Spectacle crée en 1987, couronné par un Bessie Award à New York (relation musique et danse)

Copyright ©  Céline Burr

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Danse filaire – Veronica Vallecillo

La danseuse guidée par l’arpège… Dans un flot de mots qui la propulsent, Veronica hypnotise les notes et les renvoie. Transfuge. Accrochée à un fil – qui s’étale, se tord, se noue: légèreté acquise

Comment vous est venue l’idée de ce spectacle ?

Je suis chorégraphe et créatrice contemporaine avec la matière du flamenco. Lors de mes échauffements je mettais les suites pour violoncelle de Bach.

Pour s’aérer, trouver de nouvelles façons de bouger, de ressentir la musique. Puis j’ai eu l’occasion de travailler avec un violoncelliste qui s’appelle Raphael Perraud, (violoncelliste à l’Orchestre National de Radio France). Nous avons fait de l’improvisation lors d’une soirée. Et nous nous sommes revus pour travailler sur la suite numéro 2. On s’est jurés de se revoir et de travailler cette suite pour violoncelle…le temps et la vie a fait que chacun était très occupé d’un côté et de l’autre…

Un jour, en résidence pour une création très différente j’ai remis les suites pour violoncelle.

J’ai rencontré d’autres artistes sur les lieux dont Sylvain qui travaillait sur plusieurs projets dont les suites pour violoncelle de Bach. Je lui ai dit :

– « Ca te dit qu’on se fasse un boeuf ?! »

On s’est rencontrés – en improvisation et, on as décidé de se revoir et de remettre ce projet en route. J’ai écrit la chorégraphie pour la Suite n°5 et n°2.

Il y avait une bonne cohésion entre vous deux : la danseuse et le musicien

Il y avait un écho, presque un fil qui vous reliait…

Oui. On l’as pensé comme ça. C’est un véritable dialogue entre la musique et la danse en général. En l’occurrence la musique de Bach interprêtée par Sylvain qui a sa propre adaptation.

Votre base est le flamenco ?

Je viens du flamenco, je suis identifiée en tant que tel mais j’ai été voir du côté d’autres disciplines de danse telles que la danse classique, le contemporain, …

J’ai des sources d’inspiration qui sont plus superficielles mais qui sont là : les danses urbaines. Le fonds est composé du flamenco et de la danse contemporaine. J’ai donc crée un style à moi – à cheval entre toutes ces disciplines.

Parmi vos influences en danse contemporaine quelles sont-elles ?

J’ai travaillé avec la compagnie Montalvo pendant des années. En tant que créateur il y a des gens qui forcent l’admiration tels que Pina Bausch …

Je vais vous donner un nom qui ne fait pas partie de la danse contemporaine mais qui est vraiment l’essence de la performance : Marina Abramovic – économie du mouvement.

Etes-vous née dans une famille de danseurs de flamenco ?

Je suis née à Toulouse. Ma famille est originaire de Granada, j’ai donc toujours été en connection avec l’Espagne. J’ai eu la chance d’ accéder à la culture classique en France et en même temps à la culture flamenca en Andalousie.

Qu’est ce qui pour vous vibre dans le flamenco, qui fait que cette danse est unique ?

Elle permet d’exprimer le désespoir et en même temps elle comporte beaucoup d’espoir.

Il y a toute la vie à l’intérieur de cette danse. La quête qui est aussi une voie – on est jamais arrivés. On peut exprimer beaucoup de choses simples ou spirituelles: c’est très riche ! En tant qu’artiste c’est une voie qui nous permet de s’affiner, de se questionner… Un art qui peut englober presque tous les aspects de la vie: les grandes joies, les grandes peines, la poésie du quotidien également. C’est surtout un art pluriel. Pour moi ça représente tout ça.

Le flamenco est inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO depuis 2010

Copyright ©  Céline Burr

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