Cet Oiseau de Feu – Sohrâb Chitan

Téméraire dans sa danse. Tantôt oiseau-Roi-soleil, tantôt simple mortel,

Sohrâb réagis et ré-ajuste

Exit la notion de temps, il nous dit vouloir : « Aller droit dans l’humanité »

Sohrâb Chitan en quelques dates :

  • Né en 1987 à Paris,
  • De 2005 à 2007, il se forme aux techniques de danse Rudra Béjart en Suisse, puis au sein de la compagnie américaine Alonzo King Lines
  • C’est en 2011 qu’il décide de fonder sa compagnie: TIMEless Ballet
  • En 2013, la rencontre de Nicolas Noël – chorégraphe et danseur renommé, ancien Coryphée de l’Opéra Garnier, lui permettra de remettre un pied dans la danse

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Masque en plumes de pigeon créé par l’artiste taxidermiste Mathieu Miljavac

Vos trois voyages ont l’air « délimités. » On y voit le commencement, la façon dont la planète a été bâtie, l’homme part ensuite à la découverte du monde et ça finit en voyage intérieur… 

Ce qui m’intéresse c’est de ne pas vous imposer quelque chose. Il me fallait un fil conducteur pour créer. Si vous avez vu l’inverse c’est très bien vous avez crée votre propre voyage. Ce qui m’intéresse c’est de prendre le public et de dire :

« Voilà, j’ai fait ça, c’est mon histoire. C’est celle de Jeanne aussi » (Jeanne Henry – Comédienne)

Elle dit ce que je ne peux pas dire car je ne parle pas. Dans le mouvement je dis ce qu’elle ne peut pas faire car elle n’est pas danseuse. Au public d’imaginer son propre voyage à travers des musiques. Le masque est clairement la naissance d’une bête qui se transforme en homme.

Vous mettez en scène une époque préhistorique ?

Pour moi ce n’est pas aussi scientifique. Et moi je l’interprète à travers un oiseau, un singe, une bête. Une bête avec des griffes qui a peur de son propre corps et, à travers l’Homme – avec un h majuscule. C’est cette part d’animalité qui nous entoure, et qui fait aussi ce qu’on est aujourd’hui par la barbarie. Nous l’avons en nous mais l’art peut nous sauver.

Je conçois votre danse avec une ouverture de l’âme, de l’homme… Une évolution plus spirituelle ?

Au niveau spiritualité j’ai un rapport très fort entre le ciel et la terre. Je caresse le sol, je ramène et je prends…

Ce rapport entre le divin et l’homme est important, car il me semble qu’à un moment donné on est toujours confronté à un appel à Dieu. On se pose la question à travers notre solitude. C’est évident, je, suis seul sur scène, elle, est seule sur scène. Vous vous fuyez et vous cherchez en même temps ?

Vous vous fuyez et vous vous cherchez en même temps ?

Oui. Jusqu’au moment où l’homme, où la femme, quels qu’ils soient : amants, amis, etc. se retrouvent. Il y a une rupture et un accord dans ces trois voyages.

La dernière partie interprétée sur du Chopin est-elle votre recherche de sublimation ?

Personnellement c’est une histoire d’amour que j’aime transposer là-dessus.

Chopin c’était mon truc, par rapport à mon vécu. La danse classique c’est ma nature et en même temps c’est ma base. Pour moi, c’est important de retrouver aujourd’hui ce côté romantique et classique. Je ne suis pas sûr qu’un danseur contemporain aurait eu la forme physique d’assumer ce que j’ai pu faire. C’est moi ce soir. Par concours de circonstances ça aurait pu être un autre danseur. Mais il aurait fallu qu’il soit classique pour qu’il comprenne le langage. Un danseur contemporain qui ne sait pas faire une première, et qui ne sait pas qu’un dégagé est important (il s’exécute) : il ne comprends pas.

Oui, il y a une sublimation dans le classique. Et en même temps il y a un espoir : par rapport à Sabra et Chatila, ce que l’homme est capable de faire de pire, de détruire. Comme les volcans ont voulu détruire mais, au delà de ça, au crime de l’humanité.

Chopin ça continue et c’est un cercle. A la limite le ballet pourrait redémarrer à zéro.

S’il y avait un message serait-ce une dystopie ?

C’est ma vision du monde. C’était un premier ballet donc je suis conscient que c’était un risque énorme de mélanger du texte et de la danse. Ce sont des essais, des journaux intimes, il y a ce côté très spontané. C’est cela qui m’a intéressé, d’aller droit dans l’humanité.

J’ai laissé la liberté à Jeanne de trouver ses textes.

Jeanne Henry, comédienne

Pouvez-vous me parler de votre façon de travailler l’aspect narratif ?

La dernière partie du ballet avait déjà été crée. Puis, Sohrâb m’a demandé un texte sur le voyage. J’ai alors repensé à ce texte qui est un peu un texte de chevet pour moi.

(Juste la fin du monde, du luxe et de l’impuissance, de Jean-Luc Lagarce)

Je lui ai envoyé un assemblage de deux recueils. Il a ôté une grande partie.

Juste la fin du monde est un texte qui raconte l’histoire d’un homme qui va mourir et qui reviens pour l’annoncer à sa famille, voilà l’une des scènes du début. On a fait ce lien ensemble sur les textes. On a changé des mots pour que ce soit féminisé, par exemple « amoureuse ».

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Votre rôle m’a fait penser à l’époque antique…

Oui, Sohrâb ayant une formation de danseur classique que l’on retrouve dans sa base et, travaillant avec des mouvements contemporains, souhaitait retrouver dans le théâtre cette forme de théâtre classique.

Donc on as pensé à la blancheur de la robe, la coupe de cheveux est un clin d’oeil à Ophélie… On avait travaillé sur la partie des guerriers où l’on retrouve une gestuelle antique en référence au théâtre classique.

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Et le voile également ?

Ca représente tellement de choses ! On est passé par tellement d’interprétations que je ne sais plus… Rires

Est-ce votre première collaboration avec un danseur ?

Oui, dans ce registre précis.

Vous avez dansé…

Oui, ça c’est fait comme ça, je n’ai pas l’impression d’avoir dansé. Sohrâb m’a poussée à danser. Le comédien se cache beaucoup derrière le texte et le personnage. Jusqu’au dernier moment Sohrâb me rappelait que j’avais des muscles dont je pouvais me servir.

Voyages I, II, III et Cold Ways

14 mars 2014, Théâtre Le Liburnia, Libourne

Propos recueillis le 18 septembre 2013 – Théâtre de Ménilmontant, Paris

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